
Poursuivant la réflexion débutée en 2019 par le rapport sur la crise l'hôpital public et prolongée en 2020 par le rapport sur le Ségur de la santé, l'Académie nationale de médecine constate avec inquiétude la perte d'attractivité des carrières hospitalo- universitaires.
Les médecins hospitalo-universitaires constituent la pierre angulaire des soins, de l'enseignement et de la recherche dans les CHU ; cette triple mission, à laquelle s'ajoute souvent une quatrième mission collective, est la spécificité de la carrière hospitalo- universitaire, marqueur de l'excellence de la médecine française et garante de sa notoriété internationale. La situation des médecins hospitaliers universitaires continue de se dégrader, l'attractivité de la carrière s'effondre comme en témoignent les démissions en cours de carrière et la désertification des viviers de certaines disciplines dont certaines ne sont plus représentées dans les CHU : ces trois dernières années, depuis 2018, 139 PU-PH et MCU-PH (78 PU-PH et 61 MCU-PH) ont démissionné (enquêtes de Gilbert Vicente et de la Conférence des doyens, 2021). Les jeunes candidats sont de plus en plus réticents à s'engager compte tenu d'un avenir incertain, des contraintes liées à la carrière.
Le Ségur de la santé n'a pas retenu de mesures spécifiques aux hospitalo-universitaires; il avait été convenu que serait organisé un cycle spécifique de négociations avec les deux ministères de tutelle: Ministère des solidarités et de la santé, Ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Mis en place par les deux ministères en novembre 2020, le groupe de travail s'est réuni à plusieurs reprises mais finalement, les discussions ont été un échec.
Préoccupée par cette situation, consciente de ses dangers pour la qualité des soins, de l'enseignement et de la recherche, soucieuse d'enrayer le déclin annoncé de la médecine hospitalo-universitaire française, l'Académie nationale de médecine considère, par cet avis, essentiel d'alerter et de proposer des recommandations pour restaurer l'attractivité perdue des carrières hospitalo-universitaires.
Les pré-requis permettant de classer un candidat en rang utile pour demander l'ouverture d'un poste au ministère se sont progressivement alourdis (M2, Thèse, HDR), tenant compte des recommandations des CNU et du ministère (bibliométrie, mobilité).
Tout en gardant l'excellence, les critères doivent-ils être identiques pour un candidat à un poste de PU-PH dans une faculté où il y a de nombreux PU-PH de la spécialité et dans une faculté où il sera le seul PU-PH ? La formation et les critères doivent-ils être identiques pour une discipline clinique où prédomine l'excellence hospitalière, où le PU-PH assure le recrutement des patients, sert de référence par rapport aux praticiens hospitaliers et aux collègues du privé et pour une discipline biologique où les actes sont pour l'essentiel automatisés où doit prédominer l'excellence de la recherche fondamentale ?
La place de l'enseignement et de la recherche clinique est peu développée et difficilement appréciée par les commissions et les CNU. De même, la recherche clinique est peu prise en compte, alors que le rang de la France dans ce domaine a reculé ces dernières années. Enfin, les qualités de résilience et d'adaptabilité dans une équipe, celles de futur leader d'équipe capable de développer des projets HU sont peu évaluées et prises en compte.
Les candidats formés par les longues années d'un exigeant cursus doivent être capables de s'adapter aux conditions et missions de leur statut hospitalo-universitaire ; les critères de sélection et la formation pourraient être modulés en fonction de la discipline et du lieu d'exercice prenant en compte les aptitudes pédagogiques, la recherche clinique, les capacités de résilience et d'adaptation, la capacité à diriger un projet.
La validation de l'autorisation de soutenance de l'HDR par le Conseil scientifique de l'Université peut être difficile pour les candidats, notamment en l'absence de membres capables d'éclairer la spécificité hospitalo-universitaire du dossier du candidat : la présence d'hospitalo-universitaires parmi les membres du conseil scientifique de l'Université doit être systématique.
L'âge moyen de nomination de 44 ans pour les PU-PH et 37 ans pour les MCU-PH, sans comparaison avec les universitaires d'autres disciplines nommés beaucoup plus jeunes. Il existe une période de plus de 15 ans après la fin de l'Internat pendant laquelle le futur candidat va parfois vivre dans des conditions précaires par rapport à celles de ses collègues nommés praticiens hospitaliers (nommés environ 10 ans plus tôt) ou installés en secteur libéral. Pendant cette période, le candidat peut avoir des difficultés financières ou familiales qui finalement le découragent.
Des aides administrative et financière sont nécessaires aux jeunes talents pour que leur formation soit sereine : la mission temporaire actuellement limitée à 3 mois doit être étendue à une année entière avec maintien intégral du salaire ; une deuxième mobilité doit être possible à un autre moment du cursus ; la possibilité de réaliser précocement dans le cursus la mobilité doit être favorisée ; le remplacement dans le service du jeune pendant son année de mobilité est nécessaire pour assurer la continuité des soins. Le nombre d'années recherche doit être augmenté intégrant la possibilité d'utiliser des années recherche d'autres. La création de postes « de Professeurs juniors » pourrait permettre de compléter la formation.
Le PU-PH a 20 ans pour parvenir au 2ème échelon de la classe exceptionnelle. Un rattrapage rapide est nécessaire, en particulier par rapport à ses collègues PH dont la carrière dure en moyenne 10 ans de plus, d'autant que les années de post-internat sont mal pris en compte.
Le choix d'une carrière doit être aidé par les facultés organisant une présentation des différents types d'activité: hôpital, médecine de ville, établissements de santé et des différents débouchés en clinique, recherche, formation, administration.
Les carrières hospitalo-universitaires sont prisées par l'exemplarité d'un enseignant, d'un exercice de la médecine et de l'apprentissage de la recherche. Cette pédagogie par le modèle détermine le choix de la spécialité des deux-tiers des résidents aux Etats-Unis.
Pendant toute la carrière, en cas de difficultés non résolues, une cellule d'écoute et d'accompagnement devrait être créée pour les HU.
Nombre d'hospitalo-universitaires atteignent l'âge limite de l'exercice en gardant une qualité et des compétences intactes. Ils devraient pouvoir continuer d'exercer, après libération de leur poste et en fonction de leur souhait, un exercice jusqu'à un âge supérieur aux limites prévues par les textes réglementaires.
Le médecin hospitalier n'est plus corvéable à merci ; intégré dans la société, il a pris conscience que la vie familiale et les activités extérieures font partie inhérente de sa vie. Il ne souhaite plus être uniquement valorisé par les activités HU. L'objectif des jeunes générations est d'être heureux dans leur travail, d'avoir du temps libre ; les hospitaliers n'ont pas d'aspirations différentes de la société en général. Le responsable d'une unité
doit être formé au management d'une équipe qui suppose la connaissance de l'organisation interne de l'hôpital, du financement, de la stratégie, de la sécurité, de la qualité des soins, de la gestion des hommes et de l'interaction avec l'administration. Manager une équipe prend du temps pour régler les difficultés, soutenir chacun, organiser une prise en charge homogène, créer une équipe soudée.
L'organisation de l'activité hospitalo-universitaire et son attractivité reposent sur l'intégration des activités de soins, d'enseignement et de recherche, respectant l'équilibre entre chacune d'elles pour éviter la désuniversitarisation des CHU.
Compte tenu de la récente loi visant à simplifier le système de santé, il est nécessaire d'instaurer un avis de nature décisionnelle de l'Université et du Doyen pour la nomination des chefs de service des CHU, précisément en raison de leur dimension universitaire. Se contenter d'un avis simplement consultatif est insuffisant ; un tel archaïsme de la pensée serait inconcevable dans la plupart des pays en Europe dans lesquels cette nomination est du ressort de l'autorité universitaire. Dans ces mêmes pays, il serait inconcevable qu'un Directeur de la Recherche n'ait jamais fait de recherche ! Une véritable délégation de responsabilité de la part de l'administration hospitalière est indispensable renforçant les prérogatives du chef de service et ses responsabilités universitaires.
La triple mission de soins, enseignement et recherche n'est possible que si l'on tient compte des aspirations et des compétences des différents membres de l'équipe ; plusieurs d'entre eux doivent avoir la même compétence pour l'ensemble des domaines. L'organisation du temps hospitalo-universitaire doit être libre et évolutive. Une telle modularité, ardemment souhaitée par les HU, doit être organisée au sein du service par l'équipe et non à l'échelon individuel, inscrite dans le projet de service dans une contractualisation interne ; elle permettrait de diversifier les activités des HU et d'adapter le temps de travail dans les différentes fonctions selon les obligations du service ou les circonstances de la vie.
L'activité de recherche doit être reconnue par le CHU et par le Ministère de la santé et des solidarités au même titre que par le Ministère de l'enseignement, de la recherche et de l'innovation. Le service doit bénéficier des crédits qu'il est en droit de recevoir grâce à son activité de publications, ses contrats de recherche et sa contribution à l'activité des Unités de recherche labellisées.
La recherche est valorisée par la bibliométrie, la formation clinique est essentielle. L'excellence de la pratique de soins est indispensable dans une organisation territoriale des soins où le CHU est la structure de référence. L'enseignement théorique devrait faire l'objet d'une gradation identique à celle qui se fait naturellement pour les soins et la recherche.
La rémunération et la retraite des hospitalo-universitaires sont singulières au sein de la fonction publique ; bien que n'étant pas l'unique explication de la perte de d'attractivité des carrières hospitalo-universitaires, elles sont au centre de la réflexion et constituent un sujet de discorde ancien et de polémique actuelle.
Rémunération
La rémunération d'un médecin hospitalo-universitaire associe :
La grille des émoluments hospitaliers comporte des anomalies aggravées par le Ségur de la santé : la suppression du premier échelon de la grille des PU-PH et des deux premiers échelons de la grille des MCU-PH associés à une revalorisation du dernier échelon et à la création de deux échelons supplémentaires en fin de carrière sont insuffisantes et non comparables à la création des trois nouveaux échelons accordés au Praticiens Hospitaliers. La situation est perçue comme inéquitable par les hospitalo- universitaires. Concentrer les propositions sur le début et la fin de la carrière oublie le nombre important d'hospitalo-universitaires en milieu de carrière dont la majorité n'atteindra pas les échelons les plus élevés avant la retraite. Sur un effectif global au 31 décembre 2019 de 6395 médecins universitaires (4432 PU-PH et 1963 MCU-PH), seuls 15 % des PU-PH seront promus à la C1, 15 % à la CE1 et 21 % à la CE2; concernant les MCU-PH, 24 % sont promus à la C1 et 22 % HC. Les promotions conditionnent directement la rémunération de fin de carrière et les pensions de retraite. La modification récente des règles de calcul des promouvabilités selon lesquelles le candidat doit répondre aux conditions de l'année N-1 et non plus de l'année N doit être supprimée.
La reprise d'ancienneté hospitalière doit inclure l'ensemble du cursus en particulier avant la promotion, lors des périodes de mobilité, non seulement au sein de l'union européenne mais également hors de celle-ci.
La création d'une prime d'encadrement de recherche et d'enseignement pour les hospitalo-universitaires ne doit pas devenir le prétexte de la mise à l'écart des HU de la
PEDR qui fait régulièrement l'objet de discussions entre les différentes disciplines universitaires.
Les fonctions de chef de service, de chef de pôle ou de président de CME doivent faire l'objet d'une rémunération spécifique, valorisant la surcharge de temps consacré et la responsabilité inhérente à ces fonctions.
Retraite
La carrière d'un médecin hospitalo-universitaire est courte et dure 10 ans de moins que la carrière d'un Praticien Hospitalier. Les médecins hospitalo-universitaires ne perçoivent leur retraite que sur leur activité universitaire et ne perçoivent pas de retraite sur leur activité hospitalière qui pourtant représente, pour le plus grand nombre, plus de 50% de l'activité. Cette situation dénoncée depuis de nombreuses années a été récemment exacerbée, sa persistance génère un sentiment d'injustice nourrissant incompréhension et ressentiment contribuant grandement à la perte d'attractivité actuelle. La prise en compte dans la pension de retraite de l'ensemble des activités hospitalières est nécessaire associant les indemnités de gardes, astreintes, primes d'exercice ainsi qu'elles le sont dans le calcul des retraites des PH.
La reprise de l'ancienneté hospitalière doit intégrer l'ensemble de la carrière depuis les premières rémunérations pendant les études de médecine.
Le rachat des services auxiliaires pour tous les hospitalo-universitaires doit être de nouveau possible quel que soit l'ancienneté dans la carrière.
Propositions
Personnalités auditionnées
Sadek Beloucif et Jean-Pierre Pruvo, syndicat SNAM-HP Olivier Boyer, syndicat SHU
Marie-Christine Copin, Présidente de la Conférence des Présidents du CNU-Santé Patrice Diot, Président de la Conférence des Doyens des Facultés de Médecine François-René Pruvot, Président de la Conférence des Présidents de CME - CHU Norbert Skurnik et Pierre Le Corre, syndicat CMH
Groupe de travail rattaché à la Commission XV :
Francis Michot (coordonnateur), Dominique Bertrand, Jacques Bringer, Catherine Buffet, Olivier Claris, Yvon Lebranchu, Christian Thuillez.
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