La PPL dite "Valletoux" prévoit dans son article 7 l'interdiction de l'intérim soignant en début de carrière.
Soignants de formation, nous comprenons la volonté générale de diminuer la pression de l'intérim sur les établissements de santé. Néanmoins, cette interdiction et la façon dont elle est formulée aura un impact immédiat et à long terme inverse des effets recherchés :
Le projet d'article ne prend pas en compte l'année de diplôme mais l'expérience passée hors intérim. Concrètement, une infirmière expérimentée avec 2 ans d'exercice à temps plein à l'hôpital puis 5 ans d'intérim sera du jour au lendemain sorti des plannings hospitaliers, alors que son expertise lui permet de remplacer efficacement des professionnels dans différentes spécialités.
Comme le démontre l'échec de l'ARS Ile de France qui a proposé en vain jusqu'à 7000 euros de prime aux intérimaires pour les pousser à signer un CDD, les soignants qui ont fait le choix de l'intérim n'ont pour leur grande majorité aucune envie de revenir à l'hôpital qu'ils ont quitté dans une relation contractuelle long terme. Ils signeront donc des contrats courts et précaires avec les établissements. Or les hôpitaux publics seront incapables du jour au lendemain d'absorber un tel flux de contrats à gérer. Les grands gagnants seront les structures privées, lucratives ou d'intérêt collectif, habituées à ce mode de fonctionnement et structurées en conséquence.
Ce texte est en outre un bien mauvais signal envoyé : Quel besoin de mener un complexe travail de fond sur l'attractivité et la fidélisation des établissements de santé dans la mesure où la loi assure un contingent de jeunes diplômés qui n'auront pas ou peu d'alternatives ?
Certains se plaisent peut être à imaginer ces prochains mois une légion de soignant égarés rejoignant tête basse le troupeau qu'ils ont abandonné. Il n'en sera rien. Cette vision est typique d'une conception managériale surannée qui ne perçoit aucun problème majeur au fait de voir travailler des agents qui ne seront présents que par obligation plutôt que par envie.
Notre enquête Trajectoires RH 2023 le montre bien : les premières raisons de départ de l'hôpital sont la gestion des planning et l'organisation hospitalière, avant la rémunération. Annulation discrétionnaire des repos, pression managériale pour remplacer à la dernière minute, 3 voire 4 week ends d'affilée travaillés hors de tout cadre réglementaire...Beaucoup de soignants ne sont guère enclins à renouveler l'expérience, même avec une solide prime à l'appui.
Le retour à une place raisonnée de l'intérim au sein des établissements de santé français passera nécessairement par une refonte complète des politiques salariales et managériales de la fonction publique hospitalière, qui risque malheureusement d'être retardé par ce type de décisions.
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